Le cadre juridique des énergies renouvelables marines : défis et opportunités

Le développement des énergies renouvelables marines représente un enjeu majeur de la transition énergétique mondiale. Face à l’urgence climatique et à la nécessité de diversifier les sources d’énergie, les océans offrent un potentiel considérable encore largement inexploité. En France, avec plus de 11 millions de km² d’espace maritime, le déploiement de ces technologies soulève des questions juridiques complexes à l’intersection du droit de l’environnement, du droit maritime et du droit de l’énergie. Ce domaine juridique émergent doit concilier innovation technologique, protection des écosystèmes marins et cohabitation avec les usages traditionnels de la mer.

Fondements juridiques et gouvernance des énergies marines renouvelables

Le cadre normatif des énergies marines renouvelables (EMR) s’articule autour d’un ensemble de textes nationaux, européens et internationaux. Au niveau international, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) constitue le socle fondamental qui définit les droits souverains des États sur leurs zones maritimes. Elle permet aux États côtiers d’autoriser et de réglementer la construction d’installations énergétiques dans leur zone économique exclusive (ZEE) s’étendant jusqu’à 200 milles marins.

À l’échelle européenne, la directive 2018/2001 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables fixe des objectifs contraignants et encourage le développement des EMR. Le Pacte vert pour l’Europe renforce cette orientation en visant la neutralité carbone d’ici 2050, avec une stratégie spécifique pour les énergies renouvelables en mer adoptée en 2020.

En droit français, la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 et la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) fixent des objectifs ambitieux pour les EMR. La loi ASAP (Accélération et Simplification de l’Action Publique) de 2020 a simplifié les procédures administratives pour faciliter le déploiement de ces technologies innovantes. Le Code de l’énergie et le Code général de la propriété des personnes publiques encadrent l’occupation du domaine public maritime nécessaire à l’implantation des infrastructures.

La gouvernance des EMR se caractérise par une multiplicité d’acteurs aux compétences parfois enchevêtrées :

  • Le ministère de la Transition écologique définit la politique énergétique nationale
  • Le ministère de la Mer intervient sur les questions d’usage du domaine maritime
  • La Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) supervise les appels d’offres
  • Les préfets maritimes coordonnent l’action de l’État en mer
  • Les collectivités territoriales participent à la planification spatiale maritime

Cette architecture institutionnelle complexe peut engendrer des délais administratifs considérables. Pour y remédier, la France a mis en place le principe du « permis enveloppe » qui permet de sécuriser juridiquement les projets tout en laissant une certaine flexibilité technologique aux porteurs de projets. La création d’un document stratégique de façade (DSF) contribue à une meilleure planification spatiale maritime en identifiant les zones propices au développement des EMR.

Régimes d’autorisation et procédures spécifiques aux projets marins

L’implantation d’infrastructures d’énergies renouvelables marines est soumise à un régime d’autorisation particulièrement complexe, reflet de la diversité des enjeux et des espaces concernés. La procédure de mise en concurrence constitue généralement la première étape. Organisée par l’État via la Commission de Régulation de l’Énergie, elle prend la forme d’appels d’offres pour les projets commerciaux d’envergure ou de procédures de dialogue concurrentiel permettant d’affiner progressivement les caractéristiques techniques des projets innovants.

Une fois le lauréat désigné, plusieurs autorisations administratives doivent être obtenues :

  • L’autorisation d’occupation du domaine public maritime (AOT) ou la concession d’utilisation du domaine public maritime pour les installations en mer territoriale
  • L’autorisation de construction et d’exploitation des installations de production d’électricité
  • L’autorisation environnementale unique intégrant notamment l’étude d’impact

Le régime juridique selon les zones maritimes

Le régime applicable varie considérablement selon la localisation du projet dans les différentes zones maritimes :

Dans la mer territoriale (jusqu’à 12 milles marins), l’État exerce sa pleine souveraineté. Les projets EMR sont soumis à l’obtention d’une concession d’utilisation du domaine public maritime régie par le Code général de la propriété des personnes publiques. Cette concession est délivrée pour une durée maximale de 40 ans et donne lieu au paiement d’une redevance.

Dans la zone économique exclusive (de 12 à 200 milles marins), le régime est différent. La loi n°2016-1687 relative aux espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction française a créé un régime d’autorisation spécifique pour les installations dans cette zone où l’État dispose de droits souverains limités aux fins d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles.

Pour le raccordement électrique, un régime distinct s’applique. RTE (Réseau de Transport d’Électricité) est responsable de la construction et de l’exploitation des ouvrages de raccordement. Ces travaux nécessitent une déclaration d’utilité publique et diverses autorisations administratives, notamment pour les portions terrestres du raccordement.

La réforme du « permis enveloppe » introduite par le décret n°2018-1204 du 21 décembre 2018 a constitué une avancée significative. Elle permet au porteur de projet de bénéficier d’autorisations définissant un cadre général (puissance maximale, nombre maximal d’éoliennes, etc.) sans figer immédiatement tous les aspects techniques du projet. Cette flexibilité autorise l’utilisation des technologies les plus récentes au moment de la construction, plusieurs années après l’obtention des autorisations initiales.

La procédure de débat public organisée par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) revêt une importance particulière pour les projets EMR. Elle intervient en amont du processus et permet d’associer le public aux décisions concernant la localisation des parcs et leurs caractéristiques principales. Cette participation précoce vise à prévenir les contentieux ultérieurs, bien que son efficacité reste discutée face à la multiplication des recours contre les projets autorisés.

Enjeux environnementaux et principes de précaution

La protection de l’environnement marin constitue un aspect fondamental du cadre juridique des énergies renouvelables en mer. Le principe de précaution, inscrit dans la Charte de l’environnement à valeur constitutionnelle, impose une évaluation rigoureuse des impacts potentiels des installations sur les écosystèmes marins. Cette évaluation se matérialise principalement par la réalisation d’études d’impact environnemental approfondies, préalables obligatoires à l’autorisation des projets.

Ces études doivent analyser les effets des installations sur la biodiversité marine, tant durant la phase de construction que pendant l’exploitation et le démantèlement. Elles examinent les impacts potentiels sur les habitats benthiques, les mammifères marins, l’avifaune, les ressources halieutiques, mais aussi les effets indirects comme les modifications hydrodynamiques ou les pollutions acoustiques sous-marines.

La directive-cadre Stratégie pour le milieu marin (2008/56/CE) et la directive concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement (2011/92/UE) constituent le socle normatif européen en la matière. En droit français, ces exigences sont intégrées dans le Code de l’environnement, notamment via la procédure d’autorisation environnementale unique qui regroupe l’ensemble des autorisations environnementales requises.

Un enjeu juridique majeur concerne l’articulation entre le développement des EMR et la protection des zones Natura 2000 en mer. L’implantation d’infrastructures énergétiques dans ces zones n’est pas interdite per se, mais nécessite une évaluation des incidences spécifique démontrant l’absence d’effet significatif sur les objectifs de conservation du site, ou à défaut, des mesures compensatoires appropriées.

La séquence ERC : une obligation juridique structurante

La séquence « Éviter-Réduire-Compenser » (ERC) constitue l’épine dorsale de l’encadrement environnemental des projets EMR. Codifiée à l’article L.110-1 du Code de l’environnement, elle impose une démarche progressive :

  • Éviter les impacts négatifs sur l’environnement, notamment par un choix judicieux des sites d’implantation
  • Réduire les impacts qui n’ont pu être évités, par des mesures techniques adaptées
  • Compenser les impacts résiduels significatifs, par des actions positives générant un gain écologique équivalent

La jurisprudence administrative a progressivement précisé les contours de ces obligations. L’arrêt du Conseil d’État du 25 février 2019 relatif au parc éolien en mer de Fécamp a ainsi confirmé que l’absence de solution alternative satisfaisante pouvait justifier l’octroi d’une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, sous réserve que le projet réponde à une raison impérative d’intérêt public majeur et que les mesures compensatoires soient adéquates.

Le suivi environnemental constitue une obligation légale persistant tout au long de la vie des installations. Les arrêtés d’autorisation précisent les protocoles de suivi que le maître d’ouvrage doit mettre en œuvre pour vérifier l’efficacité des mesures ERC et détecter d’éventuels impacts non anticipés. Ces suivis alimentent une base de connaissances encore lacunaire sur les effets à long terme des EMR sur les écosystèmes marins.

La question du démantèlement des installations en fin de vie représente un défi juridique émergent. La législation française impose désormais la constitution de garanties financières pour assurer le démantèlement des parcs et la remise en état du site. L’arrêté du 22 juin 2016 fixe les principes de ce démantèlement, qui doit être intégral sauf dérogation spécifique. Cette obligation s’inscrit dans une logique d’économie circulaire, encourageant la valorisation des matériaux issus du démantèlement.

Conflits d’usage et contentieux spécifiques

L’implantation d’infrastructures d’énergies renouvelables marines génère inévitablement des tensions avec les usages préexistants de l’espace maritime. La pêche professionnelle constitue souvent le premier secteur impacté, les parcs EMR pouvant restreindre l’accès à certaines zones de pêche traditionnelles. Le droit français a progressivement élaboré des mécanismes de gestion de ces conflits, notamment via la création d’indemnités spécifiques pour les pêcheurs affectés par l’implantation des parcs, comme le prévoit l’article L.2124-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.

La navigation maritime représente un autre enjeu majeur. Si la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer garantit la liberté de navigation, les installations EMR peuvent constituer des obstacles nécessitant des adaptations des routes maritimes. En France, le préfet maritime dispose du pouvoir de réglementer la navigation à proximité des parcs, pouvant aller jusqu’à l’interdiction totale de pénétration pour des raisons de sécurité. Ces restrictions font l’objet d’une concertation préalable avec les usagers concernés et sont formalisées par des arrêtés préfectoraux.

Les activités touristiques et de loisirs peuvent être affectées par l’impact paysager des installations. La jurisprudence administrative a reconnu que l’atteinte aux paysages constituait un motif recevable de contestation des projets EMR, tout en soulignant que cet impact devait être mis en balance avec les bénéfices environnementaux globaux attendus. L’arrêt du Conseil d’État du 13 juillet 2012 concernant le projet de parc éolien en mer de Veulettes-sur-Mer illustre cette approche équilibrée.

Un contentieux administratif en évolution

Le développement des EMR a généré un contentieux administratif abondant, reflétant les tensions entre impératifs énergétiques et préoccupations environnementales ou sociales. Face à la multiplication des recours susceptibles de retarder considérablement les projets, le législateur a progressivement aménagé le régime contentieux applicable :

  • La compétence en premier et dernier ressort de la Cour administrative d’appel de Nantes pour les litiges relatifs aux EMR, instaurée par le décret n°2016-9 du 8 janvier 2016
  • La limitation des délais de recours à 4 mois pour les autorisations liées aux EMR
  • L’application de l’article L.181-18 du Code de l’environnement permettant au juge de surseoir à statuer pour permettre la régularisation d’un vice affectant l’autorisation

La jurisprudence relative aux EMR s’est considérablement enrichie ces dernières années. Dans une décision marquante du 24 juillet 2019 concernant le parc éolien en mer de Saint-Nazaire, la Cour administrative d’appel de Nantes a validé l’autorisation du projet malgré certaines insuffisances de l’étude d’impact, considérant que ces lacunes n’avaient pas été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision administrative. Cette approche pragmatique témoigne d’une volonté de concilier sécurité juridique et développement des énergies renouvelables.

Un autre axe contentieux concerne les conditions financières des projets EMR. Les mécanismes de soutien public, notamment les tarifs d’achat garantis ou les compléments de rémunération, ont fait l’objet de contestations au regard du droit européen des aides d’État. La Commission européenne a généralement validé ces dispositifs, reconnaissant leur nécessité pour atteindre les objectifs climatiques de l’Union, sous réserve qu’ils respectent certaines conditions de proportionnalité et de limitation dans le temps.

La question de l’acceptabilité sociale des projets EMR demeure cruciale. Si elle ne constitue pas en soi une condition juridique de validité des autorisations, elle influence considérablement le risque contentieux. Les procédures de participation du public, comme le débat public organisé par la Commission Nationale du Débat Public, visent à prévenir ces oppositions en associant les parties prenantes locales dès la conception des projets. Lorsque ces mécanismes échouent à générer un consensus, le juge administratif devient l’arbitre ultime des conflits d’usage de l’espace maritime.

Perspectives d’évolution et harmonisation du cadre juridique

Le cadre juridique des énergies renouvelables marines se trouve à un tournant décisif. L’accélération nécessaire du déploiement de ces technologies pour atteindre les objectifs climatiques exige une évolution constante des règles applicables. La loi relative à l’accélération des énergies renouvelables de 2023 marque une étape significative en introduisant plusieurs innovations juridiques destinées à fluidifier le développement des projets EMR.

Parmi ces avancées, la planification spatiale maritime occupe une place centrale. La France travaille à l’élaboration d’une cartographie précise des zones propices au développement des EMR, intégrant en amont les considérations environnementales et les usages préexistants de la mer. Cette approche de planification préalable vise à réduire les incertitudes juridiques et à limiter les contentieux ultérieurs. Les Documents Stratégiques de Façade constituent l’outil principal de cette planification, déclinant à l’échelle de chaque façade maritime les orientations de la Stratégie Nationale pour la Mer et le Littoral.

L’harmonisation internationale des cadres juridiques représente un défi majeur pour les années à venir. La nature transfrontalière des espaces maritimes et des enjeux environnementaux plaide pour une coordination accrue des régimes nationaux. Au niveau européen, la Commission a lancé une initiative pour harmoniser les procédures d’autorisation des projets EMR, avec l’objectif de réduire les délais administratifs sans compromettre les exigences environnementales. Le règlement (UE) 2022/2577 établissant un cadre pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables introduit notamment le concept de « zones d’accélération pour les renouvelables » dans lesquelles les procédures administratives seraient simplifiées.

Innovations juridiques et technologiques

L’émergence de nouvelles technologies EMR, comme l’éolien flottant, l’hydrolien ou l’énergie thermique des mers, soulève des questions juridiques inédites. Ces technologies permettent d’exploiter des zones maritimes plus profondes ou aux conditions différentes, nécessitant une adaptation du cadre réglementaire existant. Le droit devra notamment préciser le régime applicable aux installations flottantes, qui présentent des caractéristiques hybrides entre navires et installations fixes.

Les contrats d’achat d’électricité (PPA – Power Purchase Agreement) directs entre producteurs d’énergies marines et consommateurs industriels connaissent un développement prometteur. Ces mécanismes contractuels, qui permettent de s’affranchir partiellement des mécanismes de soutien public, nécessitent un cadre juridique adapté garantissant la sécurité des investissements sur le long terme.

La question de la valorisation multiple des espaces maritimes occupés par les EMR ouvre des perspectives juridiques innovantes. Le concept de « co-usage » des parcs EMR pour d’autres activités comme l’aquaculture, le tourisme scientifique ou la recherche océanographique requiert l’élaboration de cadres contractuels spécifiques définissant les responsabilités et les droits de chaque acteur sur un même espace.

L’internationalisation des projets EMR constitue une tendance lourde, avec le développement de parcs transfrontaliers ou situés dans des eaux internationales. Ces projets soulèvent des questions complexes de droit international, notamment concernant le raccordement électrique, la répartition des bénéfices ou la responsabilité environnementale. Des initiatives comme le projet de réseau maillé en mer du Nord, visant à interconnecter plusieurs pays via des parcs éoliens en mer, illustrent ces nouveaux défis juridiques.

Le financement des projets EMR connaît des évolutions significatives avec l’essor de la finance verte. Le développement des obligations vertes (green bonds) et la mise en place de la taxonomie européenne des activités durables créent un cadre propice à l’orientation des capitaux vers ces technologies. Le droit financier s’adapte progressivement pour sécuriser ces nouveaux instruments tout en prévenant les risques de greenwashing.

En définitive, l’avenir du cadre juridique des EMR s’oriente vers un équilibre entre simplification administrative et maintien d’exigences environnementales élevées. Cette évolution nécessite une approche transversale du droit, dépassant les clivages traditionnels entre droit de l’énergie, droit maritime et droit de l’environnement pour construire un corpus juridique cohérent et adapté aux spécificités des énergies marines.